La dissuasion nucléaire française peut-elle être élargie à l’Europe ?

La dissuasion nucléaire française peut-elle être élargie à l’Europe ?

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Depuis quelques temps, la question d’une Européanisation de la dissuasion nucléaire française, sur fond de tensions internationales croissantes et de remise en cause des grands équilibres stratégiques. Certains responsables politiques ou analystes proposent que la France, seule puissance nucléaire de l’Union européenne depuis le Brexit, partage son outil de dissuasion avec l’Allemagne. Si cette idée est promue comme un pas vers une “souveraineté européenne” (sémantiquement un non-sens), elle constitue en réalité un contresens historique, juridique et stratégique.

Le poids du droit international : le cas du Traité de Moscou (1990)

Le 12 septembre 1990, le Traité portant règlement définitif concernant l’Allemagne – plus connu sous le nom de Traité 2+4 ou Traité de Moscou – est signé entre la République fédérale d’Allemagne, la RDA et les quatre puissances occupantes (France, Royaume-Uni, URSS, États-Unis). Ce texte fondateur de la réunification stipule à l’article II que l’Allemagne renonce à posséder, fabriquer ou contrôler des armes nucléaires, biologiques ou chimiques. Cette clause reste en vigueur et engage durablement l’Allemagne vis-à-vis de la communauté internationale.

Le traité de non-prolifération de 1968

La France et l’Allemagne sont toutes deux parties au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), entré en vigueur en 1970. Selon l’article I du TNP, les puissances nucléaires s’engagent à ne pas transférer à quiconque des armes nucléaires ou le contrôle de telles armes. Même un partage décisionnel symbolique serait interprété comme une violation de cet engagement. Une coopération franco-allemande allant au-delà de la simple concertation politique risquerait de s’apparenter à une prolifération déguisée.

Une dissuasion nationale au cœur de la doctrine française

Initiée après guerre par Charles de Gaulle pour ne pas dépendre du “parapluie américain”, la doctrine nucléaire française repose sur le contrôle exclusif du président de la République. La France considère l’arme nucléaire comme l’ultime garantie de sa souveraineté et de son autonomie stratégique. Le discours d’Emmanuel Macron à l’École de guerre, le 7 février 2020, réaffirmait la volonté de “maintenir la capacité d’une décision nationale autonome” en matière d’emploi de la force nucléaire. Partager cet outil avec une autre nation, même alliée, reviendrait à renoncer à cette autonomie.

Une coopération militaire asymétrique et politiquement explosive

Le souvenir historique du rôle de l’Allemagne au XXe siècle rend toute initiative visant à son accès à l’arme nucléaire extrêmement sensible, notamment pour des pays comme la Pologne ou les pays baltes. Une européanisation de la force de frappe risquerait de susciter méfiance et divisions au sein de l’UE. Elle créerait une asymétrie dans les rapports de puissance intra-européens et ferait planer le spectre d’une réactivation des lignes de fracture historiques.

Le contexte OTAN : la distinction avec le “partage nucléaire” américain

Certains objecteront que des armes nucléaires américaines sont déjà prépositionnées en Allemagne (base de Büchel). Toutefois, le contrôle de ces armes reste exclusivement américain. L’accord OTAN sur le partage nucléaire ne viole pas le TNP car il n’y a pas transfert de contrôle. En revanche, si la France intégrait l’Allemagne à sa chaîne de décision nucléaire ou envisageait un déploiement en territoire allemand, cela poserait des problèmes juridiques majeurs.

Une impasse politique, juridique et militaire

La dissuasion nucléaire française ne peut pas être européanisée sans enfreindre des traités fondamentaux ni sans compromettre la doctrine stratégique française. Elle doit rester nationale pour être crédible. Une coopération stratégique entre Paris et Berlin reste envisageable – via le dialogue, les exercices conjoints, ou la coordination dans les instances de l’UE et de l’OTAN – mais toute idée de mutualisation nucléaire est une impasse politique, juridique et militaire.

Références principales :

  • Traité de Moscou (Traité 2+4), 12 septembre 1990
  • Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), 1er juillet 1968
  • Discours du président Emmanuel Macron à l’École de guerre, 7 février 2020
  • Doctrine française de dissuasion, Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale (2013, 2017)
  • OTAN, déclaration sur le partage nucléaire et les armes américaines en Europe
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