es “Broken Arrows” — littéralement “flèches brisées” — sont les accidents les plus redoutés du monde nucléaire militaire. Ce terme désigne tout incident impliquant une arme nucléaire : explosion accidentelle, crash d’avion, perte en mer, vol ou manipulation hasardeuse. Depuis 1950, 32 de ces événements ont été recensés officiellement par les États-Unis.
Ces accidents ne signifient pas toujours qu’une arme a explosé. Heureusement, aucun n’a provoqué de détonation nucléaire complète. Mais plusieurs ont causé des explosions conventionnelles, des contaminations radioactives et la perte définitive de bombes. Six d’entre elles n’ont jamais été retrouvées.
Le B-47 disparu en Méditerranée – 1956
Le 10 mars 1956, un bombardier B-47 américain transporte deux cœurs nucléaires entre la Floride et le Maroc. Après un premier ravitaillement aérien réussi, il disparaît lors du second. Aucun signal de détresse, aucune trace sur les radars. L’appareil s’est probablement écrasé en mer. Ni l’avion ni les matériaux nucléaires n’ont été localisés. Cette disparition reste l’un des plus grands mystères nucléaires de la guerre froide.
Palomares, Espagne – 1966
Un autre accident célèbre se produit le 17 janvier 1966. Un B-52 entre en collision avec un avion ravitailleur au-dessus du village espagnol de Palomares. Quatre bombes à hydrogène tombent. Deux explosent partiellement, dispersant du plutonium sur plusieurs kilomètres. La contamination est massive. Des soldats américains et espagnols passent des mois à ramasser la terre souillée. Deux bombes intactes sont récupérées, mais l’incident ébranle la population locale pendant des décennies.
Thulé, Groenland – 1968
En janvier 1968, un B-52 en patrouille au-dessus de l’Arctique prend feu. L’équipage tente de se poser sur la base de Thulé, mais l’avion s’écrase sur la glace. Quatre bombes nucléaires se désintègrent dans l’impact. Le plutonium contamine la neige et la mer gelée. Des centaines de travailleurs sont mobilisés pour nettoyer le site à –30°C. Une bombe n’a jamais été retrouvée, enfouie quelque part sous la glace.
Tybee Island, Géorgie – 1958
Lors d’un exercice d’interception au large de la Géorgie, un chasseur percute accidentellement un bombardier B-47 transportant une bombe nucléaire Mark 15. L’équipage largue l’arme pour éviter une explosion. Elle tombe dans la mer, près de Tybee Island. Malgré plusieurs recherches, la bombe n’a jamais été localisée. Elle dort toujours dans les sédiments du littoral américain.
Goldsboro, Caroline du Nord – 1961
Peut-être l’accident le plus terrifiant. Un B-52 se désintègre en vol, laissant tomber deux bombes nucléaires Mark 39 de 4 mégatonnes chacune. L’une s’écrase et reste intacte, l’autre s’active partiellement : trois des quatre mécanismes de sécurité échouent. Il a suffi d’un seul interrupteur pour empêcher une explosion nucléaire qui aurait pu raser la moitié de la Caroline du Nord. Cet épisode a révélé à quel point la “sécurité” des armes de l’époque tenait à peu de choses.
Pourquoi ces accidents se produisent-ils ?
La guerre froide a multiplié les vols armés en permanence. Les bombardiers volaient 24h/24, souvent en état d’alerte maximale. Ajoute à cela des ravitaillements aériens risqués, la fatigue des équipages et des protocoles encore jeunes. Le résultat : des erreurs humaines, des défaillances mécaniques et des incidents parfois incontrôlables.
Ce qu’il en reste aujourd’hui
Les États-Unis affirment que leurs armes modernes sont conçues pour éviter tout risque de détonation accidentelle. Mais la plupart des “Broken Arrows” reposent toujours au fond des mers ou sous la glace. Des fragments d’uranium ou de plutonium s’y trouvent encore, prisonniers de milieux inaccessibles. Le risque est faible, mais réel. Et surtout, ces histoires rappellent une vérité simple : même les systèmes les plus contrôlés ne sont jamais infaillibles.


